“Si vous voulez vraiment progresser, vous devez régulièrement recommencer par le commencement”. Proverbe zen
Les enfants (avant un certain âge…) apprécient ce qui est répété : relire les mêmes histoires, revoir les mêmes films… sans jamais se lasser. Leur regard reste neuf, enjoué, curieux, découvrant à chaque nouvelle fois tout ce qui a pu leur échapper jusque là. Puis rapidement, la répétition est souvent associée à la lassitude, à la monotonie, à l’ennui. Comment pourrait-il en être autrement dans une société où l’on prône continuellement le changement et la nouveauté ? Nouvelles séries Netflix, nouvel IPhone, nouvelle application, nouvel événement… La répétition est toutefois inhérente à l’apprentissage. Un musicien répète inlassablement ses gammes, un comédien répète son texte jusqu’à ce qu’il soit incarné, un danseur répète sa chorégraphie jusqu’à ce qu’elle soit incorporée… Il en va de même pour toute discipline, tout art ou toute pratique corporelle. Le Yoga ne fait pas exception. D’ailleurs, dans certains types de yoga comme le Ashtanga, la répétition est au cœur du processus. En effet, le Ashtanga comporte 6 séries de postures. Dans chacune d’elles, les postures sont toujours effectuées dans le même ordre, et l’on passe bien souvent plusieurs années sur la première série avant même de commencer à étudier la deuxième! C’est pour cette raison que certains qualifient le Ashtanga de “militaire”, “rigide” ou encore “lassant” lui préférant le yoga vinyasa, lui aussi dynamique, mais plus varié et créatif dans les enchaînements. Qui ne s’est jamais ennuyé pendant un cours de yoga ? L’ennui est une conséquence de la nature compulsive du mental. Tout le défi consiste à aller au-delà de l’ego et du mental discursif par l’observation de nos pensées, de nos ressentis… Pourquoi répète t-on ? On répète pour comprendre, pour s’approprier, pour apprendre… Et apprendre, c’est aussi désapprendre, dans le but de se libérer (des conditionnements, du connu, etc…). On ne recommence jamais vraiment à zéro si les choses sont répétées avec conscience.
En tant qu’élève comme en tant qu’enseignante, je sais l’importance de la répétition. Malgré tout, dans ma posture de prof, je suis parfois rattrapée par la peur que l’élève s'ennuie. Cela pourrait me pousser vers la recherche de l’inédit et de la créativité à tout prix d’un cours à l’autre. Mais comment apprendre et s’approprier sans refaire, sans recommencer ? On ne remet pas en question le fait que la salutation au soleil soit répétée inlassablement à chaque cours ou presque, n’est-ce pas ? Mon souhait est d’amener l’élève vers plus d’autonomie, en l’invitant à [s’]écouter, à capter la dynamique interne d’une posture, d’une transition ou d’un pranayama, à en comprendre l’essence, afin d’être non pas dans la copie d’une forme extérieure à lui, mais bien dans une intégration qualitative qui prend sens. On parle bien ici d’une répétition consciente, qui ne soit pas de l’ordre de l’automatisme. Et c’est là que rentre la dimension du temps : non pas un temps horizontal, de l’efficacité, de la production mais plutôt d’un temps vertical de la profondeur et de l’exploration. [1] Pour le philosophe Bergson, la particularité de la leçon répétée et apprise, est qu’elle « fait partie de mon présent ; elle est vécue, elle est “agie” plutôt qu’elle n’est représentée ». La répétition, en créant de “l’inné”, « cré[e] dans le corps des dispositions nouvelles à agir », dans le présent. Elle génère dans le corps une mémoire qui est non une accumulation de souvenirs différenciés se succédant dans le temps, mais une mémoire « toujours tendue vers l’action », tournée vers l’avenir ; elle est au présent, c’est-à-dire la production créatrice. [2] Par ailleurs, « à quoi servirait l’effort répété, s’il reproduisait toujours la même chose ? », questionne Bergson. La répétition permet de pointer « un nouveau détail […] passé inaperçu » ou à l’inverse de « marque[r] la structure intérieure » d’un geste ou d’un savoir. La répétition est ainsi une succession de différences, qui permet au corps de comprendre et d’apprendre. [3] Same same, but different ! :) Alors ceci est un éloge à la répétition : et si on envisageait cette dernière comme une recherche, une exploration, une découverte, comme une expérience singulière et créatrice, ouvrant à l’unicité et à la liberté ?
[2] Bergson. H. Bergson, Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit [1939], Paris, PUF, 1965, p. 56.
[3] Ibid, p. 78.
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